Le Jeu du Silence

Une silhouette brumeuse se faufilait entre les ombres entrelacées des arbres de la forêt. Cachée entre les arbres, une cabane de bois était construite, immobile et silencieuse sous la pluie. Le chat tendit l'oreille, écoutant l'étrange bruit de l'eau sur le toit de verdure. Dans la forêt, il était plus à l'abri que dans la plaine et seul son instinct l'avait conduit ici. Écho des Vents n'avait rien à faire à la Cabane à Couper le Bois. Absolument rien. Il était d'abord partit à la chasse puis sa course poursuite l'avait mené jusqu'au Chemin du Tonnerre. Un long frisson d'effroi remonta le long de l'échine du félin. Chaque pas sur le bitume, chaque bouffée inspirée de cet air souillé par la pollution, le repoussait. Pire, même. Le dégoutait. Tout son corps était secoué de tremblements incontrôlables, et les souvenirs cachés dans l'abysse de sa mémoire remontaient à la surface.
Un nom. Juste un nom qui lui transperçait l'âme si fort que la douleur devenait physique. Souffle du Dragon. Et si la mort le rattrapait, lui aussi ? S'il passait sa vie à fuir la mort ? Courir jusqu'à mourir asphyxié. Son cœur se serra d'angoisse, sa gorge se noua. D’abord son mentor, puis sa sœur. Puis lui ? Sa vie avait un gout amer et il se sentait enveloppé dans une bulle de tristesse où le bonheur n’arrivait pas à s’infiltrer. Déjà six lunes. Le pire, ce sont les souvenirs qui se font de plus en plus flous, s’émiettent, s’envolent. Il arrive un moment où l’ont perd les sons et les images. On oublie les voix et les images. Puis on se demande même si tous ces souvenirs ne sont pas que des rêves inventés. L’écho des rêves d’une vie parfaite.

Echo des Vents s’approcha de la cabane. L’odeur de la sciure flottait dans l’air ; Echo l’adorait. Les parfums de la forêt étaient étonnants, subtils mélanges entre les plantes et les fleurs, l’humidité et les autres senteurs étrangères portées par le vent. Au milieu des odeurs, il en perçu une autre, plus forte que les précédentes. Animale. Aucun doute à avoir, c’était un chat du Clan de l’Ombre. Il était passé ici peu de temps auparavant, une heure tout au plus, ce qui signifiait qu’il était toujours dans la cabane. Le jeune chat se faufila dans la cabane. Deux yeux bleus étaient braqués sur lui et l’observaient. Le chat était assez grand, d’une couleur assez indescriptible. Du brun et du noir se mêlaient à différentes teintes de beige, comme si toutes les couleurs d’une palette s’étaient mélangées par erreur. Echo faillit lui demander ce qu’il faisait ici, mais si le chat lui retournait la question, il n’aurait rien à répondre, puisqu’il n’avait strictement rien à faire au-delà du territoire du Tonnerre. D’ailleurs, il lui faudrait ramener un bon nombre de proies s’il voulait donner une excuse crédible à son absence.

Un, deux, trois...
Un silence pesant s’installa entre les deux félins durant lequel les deux félins dévisagèrent. Un drôle de combat s’était engagé, non physique mais psychologique. Le chat de l’Ombre n’avait pas l’air ni spécialement attiré par le combat, ni bavard. Parler peu mais observer beaucoup. Echo ne pu s’empêcher d’esquisser un sourire. Ils étaient pareils.
Il était certain qu’ils pourraient passer une heure entière assis là à se défier du regard. Une étrange conversation muette prenait place où chaque battement de queue ou mouvement des oreilles avait une importance.
Quatre, cinq, six, sept...
Les secondes s’égrenait et le temps s’étirait comme on tire sur un élastique. Echo, devenu insensible à la pluie qui s’abattait sur la cabane, avait placé le félin inconnu au centre de son attention. Il jouait, s’amusant à percevoir le moindre mouvement. Il s’enfonça dans le regard bleu du félin, le détailla de la pointe de la queue jusqu’au bout des moustaches jusqu’à le connaître par cœur. L’autre chat n’avait pas l’air de vouloir parler et Echo, une fois lassé, aurait très bien pu faire demi-tour et faire comme s’ils ne s’étaient jamais rencontrés.
Puis il pensa à Souffle du Dragon et il changea d’avis. Parce que Souffle du Dragon ne montrait jamais aucun signe de soumission et ne repartait jamais sans un mot. Parce qu’il n’était pas un lâche et qu’il n’abandonnait jamais.

Huit, neuf, dix.
Le jeu avait assez duré.
Écho brisa le silence.
- Qui es-tu ?